Elle aime jouer avec les boutons de sa chemise à lui. Il apprécie la dentelle et la tulle qu'il y a sur ses habits à elle. Elle s'affole souvent pour un rien, il souhaite secrètement un ailleurs hors du commun. Elle veut régner, car elle a l'étoffe d'une reine, sur un royaume secret et sous-marin. Il aspire à trouver une terre, un point d'attache à arpenter, à cultiver, à nourrir et abreuver.
Ses cheveux faisaient comme un nid de branchages sur l’oreiller. Son épaule blanche seule dépassait des vagues de mèches brunes. Absolument imperturbable, parfaitement immobile. Assis sur le bord du lit, il glissait ses doigts sur la couette qui enveloppait celle qu’il désirait, il effleurait délicatement, mouvement sinueux et légers comme une plume de duvet. Il ne le remarqua pas immédiatement, mais une image lui vint en tête, assez troublante. Il se la représentait là, comme une amoureuse défunte et lui l’observait comme on se penche au-dessus d’une tombe. « Le corps est le tombeau de l’âme » songea-t-il, incapable de se souvenir par qui cette formule avait été professée. S’inquiétant de si graves pensées, il lui baisa l’épaule, y attarda ses lèvres chaudes et le bout de sa langue. Elle frissonna, le vent balaya le nid, et son visage émergea des braises.
Il est là, devant elle, il l’attend patiemment dans la chambre. Pas de lumière, juste la pénombre de fin de journée. La fenêtre s’entrouvre, on sent les effluves des fleurs et des plantes humides, fatiguées de la chaleur féroce du soleil estival. Des oiseaux s’attardent encore, petits cris épars, mélopée basse tonalité. Elle venait de pousser la porte, précautionneuse. Elle est privée d’air, incapable son corps d’accomplir le soulèvement de poitrine, gonfler, remplir les poumons, diaphragme, bronchioles en berne. Prise de tremblement, comme des spasmes, de l'extrémité des doigts aux bouts des orteils. Il est debout, à la fenêtre, elle n’aperçoit que son dos. Il ne l’a pas entendu arrivée, mais il se retourne à son premier pas vers lui. Deux masses grises dans le bleu aux pigments délayées à l’encre de chine. L’amour sera bleu et noir ce soir.
Sa peau contre elle. Partie intégrante, rencontre assimilation. Sa chaleur est sienne. Elle n’est plus que sensation, point de contact, sujet et objet de la peau qui la touche et qu’elle touche. Réciprocité extrême, totale. La fonte de son être, s’écoule se transmet à lui par le touché, un abreuvoir, elle l’absorbe à son tour. Généreuse en caresses, si timide pourtant, ses mains tremblent un peu, elle effleure, survole parfois, comme ayant peur de se brûler à rester trop longtemps au même endroit, peur de ne pas en avoir le droit. Ses lèvres se posent délicates, embrassent en fins bisous, se fondent et aspirent. Son odeur est sienne. Elle sent ses gestes doux, ses embrassements forts, la passion fiévreuse, la fougue du désir, l’intensité de l’amour, il lui dit tout ça, par son simple corps. Leurs caresses sont en miroir, mieux elles se répondent, chacun pressent ce que l’autre veut sans parler. Il l’éprend, il la serre, elle semble un peu fragile, alors il se tourne sur le côté et l’enlace contre lui, frôle ses jambes qui s’approchent, et referment les siennes sur ses cuisses. Ils s’emprisonnent l’un et l’autre, serrent encore plus fort, ils ne peuvent presque plus bouger et pourtant, jamais elle ne connut plus grande expérience de l’infini, de l’immensité avant cela. Jamais plus vaste sentiment de liberté, d’élévation, de joie si pure elle n’avait ressenti jusqu’alors. Les pensées, n’étant plus que perception et sensation, s’éveillèrent quelque peu, et à son esprit s’imposa l’affirmation simple que jamais, non jamais elle ne pourrait se passer de ses mains, de son corps, de son souffle, qu’il n’y a avait que lui qui comptait, qu’elle ne voudrait que lui et seulement lui, pour l’éternité.
A ses lèvres s’effilochent, affection dénudée, peau prend la forme de la sienne. Souffle courant thermique, bouches foisonnement s’ébattent à la source, fluide électrique le long des doigts galvanise les nerfs. Affolée aiguille du pouvoir d’attraction, exige entremêlement et annihilation, animer la substance, diffuse l’énergie, besoin de l’intégrer, dévoration.
Corps juste une existence, tu entends ? Il existe, là, je le sens sentir, maintenant. Il est moi je suis lui, il fait partie de mon espace mental, enfin ! des millions de connexions nerveuses le traversent de part en part. C’est effectif, mon corps tout entier est vivant, il a chaud, frissonne, réagit au moindre de tes gestes, à chacun de tes contacts avec moi. Je sens tout ça, portée à la vie, énergie et mouvement. Finit de traîner cette pesanteur insensibilisée. Je regarde et je ne n’y crois pas. A l’extérieur de moi, je ne suis plus. Je suis dans mon corps, non mieux, je suis mon corps il me constitue, me définit, il n’est plus que sensations et mon esprit aussi, accolé, tendresse éperdue, s’abreuvant aux stimuli.
Elle se tord petite créature, au creux de ma poitrine. Tout à moi, cœur déjà donné, son corps offrande réitérée, à mes caresses innombrables. Qui s’abandonne à mes baisers comme autant de sceaux sacrés, rituel d’amour, bénédiction, chaque fibre de son être bruisse, résonne en pâmoison. Pourtant, elle m’échappe encore, il me semble comme une fuite, se faufile un peu lointaine, s’exercer à la retenir, attacher ses yeux, piéger sa bouche, l’enlever à elle-même. Qui fuit-elle ? Moi ou elle ? Endiguer le flux et le reflux, stabiliser, lui montrer, qu’elle le croit dans sa chair, ma présence comme seule vérité, seul point fixe, illuminer ses paupières, pour que ses yeux même fermés, percent la lumière. Et puis, incarner la certitude, sur son ventre moite. Persuader, imprimer foi et liturgie le long de ses flancs, la faire mourir, la faire rêver. Jamais serment plus absolu, je frôle, mouvement recul. Timidité, un peu s’effraie, elle me punit. Je reviens mordiller son cou chatouilleux, promesse infinie, je serai ce que tu veux, mais aime-moi, aime-moi encore je t’en supplie.
Au coeur exsangue, elle déverse chatoiements mordorés, versant lunaire de ses fesses, aux seins nacrés qui tanguent. Elle l'égraine en conjecture zénithale, poussière de comète à la nuit abyssale. Il se plaît à délimiter les nervures, tant de brûlures cette peau qui endure, le carquois ailé. L'anneau de saturne rompt les plaintes rosées de Vénus jaillissant des flots. Elle éclipse son regard au visage amoureux qui la surprend au vertige. La rattrape au bord de l'abîme, la ramène à lui, et l'un l'autre s'évident en négation, trou noir en expansion, reliquat d'atomes une seconde réunis.
L'aube s'arrache au ventre nocturne, viscère de l'obscurité pourtant infinie, accouche en lumière orangée, visqueuse et si belle. C'est un beau matin pour s'enfuir, s'enfuir loin dans des contrés aux ombres luminescentes et aux rayons bleu anthraquinone.
Son odeur s'époumone, florilège arborescent le long de sa poitrine. Sa peau a gravé sa chair, ses mains ont scandé douleur, ses ongles jouissance. Hypnos souverain, étend son empire au-delà de leur cils. Leur visage couronné, repose apaisement serein. Comme éternel. Plénitude imprimée aux masque mortuaires...